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Sommes-nous propriétaires ou possédés ?

par Marie-José Mondzain

Propriété de l’image ? Cette expression est troublante puisqu’elle rassemble deux questions contradictoires. La propriété d’une chose désigne à la fois ce qui lui appartient en propre et contribue à sa définition et peut aussi signifier que cette chose est la propriété de quelqu’un qui le tient en sa possession. D’un côté le pouvoir qui définit l’être, de l’autre la domination de l’avoir. Si l’image est la propriété de tout sujet humain comme l’est la parole ou le rire, par quel tour de l’histoire s’en croit-il aujourd’hui propriétaire ? On pourrait s’en tenir à la problématique juridique de la réglementation des droits d’auteurs ou de modèles en matière d’exploitation visuelle. Mais tout cela supposerait qu’il n’y ait d’image que créée, que toute image a un créateur et que ce créateur a des droits sur ses images. Je renvoie sur ce point aux entretiens passionnants réunis par François Caillat sur ce sujet. On voit bien et très vite que le problème n’est pas si simple. En des temps lointains où l’on se battait pour savoir s’il était légitime ou non de faire des images figurant des personnes et plus particulièrement des images de Dieu, un argument fréquent en faveur de l’image était le suivant : si l’image du roi pouvait parler, elle dirait " le roi et moi sommes un ". Ce n’est pas le sculpteur ou le peintre qui parle, c’est l’image. Le roi et son image portant le même nom, le roi peut dire : voici mon image. Mais en disant cela est-ce qu’il affirme qu’il s’agit d’une image de lui parce qu’elle lui ressemble c’est-à-dire qu’elle laisse apparaître certaines de ses propriétés ou que cette image lui appartient comme un bien ? Jamais en ces temps anciens le roi n’aurait pensé qu’il était propriétaire de son image ni davantage que le créateur l’était plus que lui ! mais il pensait en revanche qu’on devait respecter cette image comme on le respectait lui-même. Autrement dit dans la relation aux images se joue la dignité d’une relation réelle. La question n’est donc pas de propriété mais d’éthique et de politique et c’est bien pour cela que c’est au sujet des images de roi et de images de Dieu que l’on s’est battu. Or justement aujourd’hui, pour des raisons qui tiennent à la fois à des dispositifs techniques et à un régime économique, ceux dont on fait l’image et ceux qui font l’image assistent à une mutation singulière dans l’usage du possessif. Mon image est entendue comme ma propriété. L’image de moi c’est moi, non point en dignité, mais c’est moi devenu chose que je donne, que je refuse et que je vends. La situation technique de la production des images et la signature de celui qui se fait connaître comme le producteur posent aujourd’hui des problèmes singuliers par l’effet d’un bouleversement dans ce que furent pendant des siècles les critères d’appartenance, d’attribution et de rétribution. Quant à la question du respect dû à l’image, elle reste plus que jamais ouverte car cela suppose que l’on convienne de la dignité d’une identification à une chose ! Ce qui renvoie à un tout autre ordre, qui est celui de la constitution du sujet dans sa singularité et sa dignité par son image. Car après tout rien ne m’empêche de dire si je le souhaite : ceci est bien une image de moi dans laquelle je ne me reconnais pas, ce n’est pas mon image.

Il n’est pas question en quelques pages de couvrir l’ensemble de la problématique. Je ne m’occuperai donc pas de l’auteur ou du créateur d’images en tant que tel. J’ai choisi parmi d’innombrables accès à la question deux chefs de réflexion fondés sur les relations d’identification, de possession et de propriété que nous pouvons avoir avec les images. Le premier niveau est celui qui concerne le rôle de l’image dans la construction du sujet ; le second est un bref retour sur les notions de possession et de dépossession par l’image. Peut-être qu’en analysant quelques traditions ou quelques comportements constituants de l’image de soi, nous faudra-t-il admettre que la puissante mercantilisation des images dans le monde contemporain est inséparable d’une régression très profonde dans notre relations aux images. Le développement considérable des techniques de production et de reproduction, leur prodigieuse sophistication, les manipulations les plus débridées à quoi s’ajoute l’extension écrasante de l’économie de marché dans le domaine audiovisuel auraient pu nous faire imaginer que notre société serait celle qui aurait la plus haute culture en matière d’image, la plus haute conscience de l’inconsistance des images, de leur fragilité, de leur peu de crédibilité. On aurait pu s’attendre à une mobilisation critique sans précédent sur la valeur constituante des images et sur les critères d’évaluation. Il n’en est rien. Bien au contraire nous constatons une adhésion fascinée et muette à tout ce que l’on voit, une gloutonnerie infantile et magique du regard. Le spectateur disparaît pour faire place à un consommateur-vendeur de simulacres qui font l’objet d’identification grossière et naïve. L’image est une marchandise. Technique et marché sont devenus les suppôts les plus solides des croyances les plus archaïques. Les nouveaux propriétaires des images sont possédés par elle. Il faut donc en conclure que les enjeux politiques et économiques en matière visuelle ont conduit ceux qui en tirent profit et qui s’enrichissent dans le commerce des images, à réduire les regards à la plus grande pauvreté, et les esprits au plus grand mutisme. Sans plus aucune exigence de forme ni de sens, les consommateurs d’images exigent de s’enrichir à leur tour. Voilà comment les locataires de l’image s’imaginent être propriétaire en touchant les loyers de leurs propres reflets !

L’IMAGE EST-ELLE UN ROYAUME ?

Je voudrais prendre le problème autrement car parler de propriété c’est parler de ce que l’on possède en propre. Or notre nom propre désigne bien ce que nous sommes et où nous sommes en tant qu’êtres de parole susceptibles d’une adresse, sans que ce " propre " qu’est le nom puisse être l’énoncé d’une propriété. D’où vient que notre image, simple trace de notre apparence, fantôme inanimé sans parole et sans substance, fasse l’objet d’une mobilisation inquiète et mercantile ? La prenons-nous pour un fragment de nous-mêmes comme il arrive dans certains délires ? Je m’attarderai sur l’étrange destin de notre image entre les constructions fragiles et invisibles de l’inconscient et la violence symbolique avec laquelle s’impose l’expérience spéculaire dont le marché s’est saisi pour faire de l’image de soi une marchandise parmi d’autres. La mercantilisation de l’image par les industries de consommation a peut-être lentement privé chacun de nous de l’accès à ce qui est fondateur dans la construction de notre image pour l’autre et par l’autre dans la circulation croisée des regards et des mots c’est-à-dire du rôle constitutif de la parole à chaque étape de la maturation. Le marché des images animé par des fantasmes de propriétaires nous reconduit aux étapes archaïques où chaque morceau du corps prend valeur de totalité dans un investissement fusionnel sans parole. Une sorte d’adhésion psychotique à la chosification de soi. L’image bien avant de poser un problème de propriété dans le champ du visible pose un problème ontologique dans le champ de l’invisible. Les images que nous formons de nous sont l’objet de sacrifices successifs qui conduisent et construisent le sujet parlant vers l’image que les autres ont de lui. Cette construction progressive de l’image de soi est une expérience de désappropriation des choses pour leur substituer des signes. Le corps n’est plus identifié à des fragments du monde mais devient une unité énigmatique qui tient sa consistance de la parole. La poupée-fleur de Dolto est bien cette chose, image de chose, par quoi la thérapeute saisit une figure inconsciente de soi pour l’enfant psychotique . En devenant visible, elle pourra devenir objet, l’objet d’un abandon de chose pour une ouverture symbolique. C’est ainsi que la rencontre de l’image de soi dans un miroir viendra en son temps produire une nouvelle expérience du renoncement : ne pas coïncider avec soi, dé-fusion par laquelle le sujet accède à sa vie symbolique. La voix de l’autre le sépare d’une image sans voix. Cette genèse de l’image a été abordée par la psychanalyse sur la base d’une fable antique, celle de Narcisse. Laissons de côté ce que fut le Narcisse d’Ovide pour retenir ici l’usage qu’en fit d’abord Freud, puis Lacan et Dolto plus tard. Il s’agit globalement de repérer ce moment de la maturation du sujet où il passe d’une expérience diffuse de sa consistance interne liée à la satisfaction de ses besoins à une spécularité saisie dans un miroir qui lui fait connaître son apparence pour l’autre. Cette épreuve scopique, jubilatoire et constituante ne peut se comprendre que si elle lance un pont entre deux rives pour toujours séparées. L’enfant qui voit son image dans le miroir découvre deux choses : sa ressemblance pour le regard de l’autre et l’altérité de son image pour lui-même. Ainsi se construit le site d’où il voit comme étant celui d’où il parle. Il peut dire " je " et dans le même mouvement faire le deuil d’une unité, deuil où s’élabore sa puissance de parlant. Point de propriété donc, mais à l’inverse une perte constituante qui fait échec à toute illusion confusionnelle, à toute appropriation totalisante. Quand je me vois, " je " et " me" ne font pas un. Si le moment de cette constitution est manqué ou marqué du sceau de l’angoisse de ne plus être ou du fantasme d’être tout, la relation à l’image bascule dans un délire de possession et de dépossession. Or à quelle condition ce basculement est-il évité ? À la seule condition de la présence de la parole, d’un signe émis par un tiers qui garantit la consistance et la stabilité du sujet dans la triangulation des regards. N’est-il pas probable que les dispositifs qui aujourd’hui répandent massivement des images idéales et fantasmées mettent en danger la dimension indispensable et constitutive de la parole. Nous sommes possédés par le spectacle des corps que nous prenons pour les nôtres, expropriés et dépossédés du site où nous parlons. C’est au c¦ur de cette expropriation symbolique que nous devenons les propriétaires délirants de ces choses qui nous ressemblent. C’est alors que, naufragés hagards dans une tempête de reflets, nous construisons ce vrai radeau de la Méduse : qu’on nous prenne, soit, mais qu’on nous paye la prise ! notre fantôme nous appartient et nous voulons bien nous noyer à condition de nous enrichir dans cette étreinte illusoire avec le plus inconsistant des biens.

En d’autres termes je dis ici que le propriétaire de son image et qui en fait commerce est en fait possédé par elle. N’ayant pu en temps voulu se séparer de soi pour faire le deuil de soi pour soi et le don de soi pour l’autre dans un même mouvement, le sujet disparaît par la trappe de son fantasme et lutte contre la mort en tenant boutique de ses propres simulacres. Voilà ce que raconte bien mieux que moi, avec la grâce du génie le film de Grimault, Le Roi et l’Oiseau. Le roi fou de lui-même brise son miroir, meurt sous le coup de son image dont il organisait l’industrie. L’Oiseau multicolore et polyglotte est l’incarnation même de la parole qui vole sans cesse entre deux mondes : celui des fantasmes totalitaires et mortifères de l’image tyrannique et celui des ténèbres douloureuses où chante le poète aveugle. Dans ce récit c’est la parole qui seule conduit jusqu’à la lumière les images de l’amour et de la liberté. Aux côtés de Grimault, on reconnaît Prévert.

Alors, donc, l’image serait un royaume ? mais un royaume où le sujet est roi et où le roi n’a pas de sujet. Étrange royaume où il faut accepter de ne rien posséder. En effet qui s’avise de posséder et de faire état de ses privilèges de propriétaire se trouve aussitôt possédé à son tour et englouti dans le simulacre d’une identité mutique. Le paradoxe réside en ceci que pour qu’il y ait image il faut qu’il y ait de l’autre, alors qu’il revient à l’image de se faire passer pour le même ; ou disons le encore autrement : l’image de l’un étant toujours image de l’autre, la propriété de l’image ne revient qu’à celui qui en est dépossédé. Tout cela revient à dire que l’image ne se soutient dans sa dignité qu’en entrant dans la circulation symbolique des mots et des signes qui ne doivent leur valeur qu’à leur sens dans un échange ininterrompu. Dès lors il est aussi illusoire de se croire propriétaire de son image qu’il le serait de se dire propriétaire du temps. L’image est une histoire qui se tisse entre les apparitions et les disparitions de chacun pour l’autre. Alors, direz-vous, l’image ne sera jamais un royaume. Vous avez raison, c’est bien ce que nous chante l’Oiseau de Prévert et Grimault.

L’IMAGE A-T-ELLE DES PROPRIÉTÉS ?

S’il faut renoncer au règne de l’image, que dire des pouvoirs qui lui sont propres ? La culture occidentale a été marquée durant des siècles par le débat sur les images. Il y eut des guerres livrées aux images, des guerres entre des images. Chaque fois il s’agissait de s’emparer du monopole de production pour être le seul à user et abuser de ses pouvoirs. Être le maître des images c’est jouir seul de ses propriétés. Le Dieu unique a horreur des images comme s’il craignait, lui qui n’a pas d’ombre, qu’on le fasse entrer dans le royaume des ombres, qu’on le réduise à quelque objet manipulable et périssable. Au fond, ce qui fait peur à Dieu c’est d’être destitué de sa pureté imaginaire en devenant trop réel ! Le Dieu unique redoute qu’on le possède comme on possède une idole. Une idole a une ombre et cette ombre est la marque de sa caducité dans les mains humaines. Il faudrait donc choisir entre une fiction solaire, sans ombre et sans image et une réalité condamnée au partage de l’ombre et prolifique en images. À qui sont ces images qui déplaisent tant à Dieu ? Elles appartiennent en propre à toute réalité qui se soumet aux conditions du visible. Tout ce qui se laisse voir produit une image qui ruine tout tentative et tout espoir de saisir du réel dans sa totalité. Ne pas saisir le tout, c’est renoncer à s’approprier une totalité quelle qu’elle soit, matérielle ou symbolique. Nous n’avons d’expérience exhaustive de rien. Voilà qui contrarie Dieu qui voudrait occuper nos vies, nos regards et nos pensées de manière exhaustive puisqu’il se propose comme perfection de l’être à qui rien ne manque. Or l’image n’existe que de ce à quoi il manque quelque chose pour être Tout. Point d’image du Tout. On ne saurait être plus loin de l’idée que Dieu se fait de lui-même. Donc pas du tout d’image ! Or ce Dieu unique, confronté à l’impossibilité de faire vivre sa fiction en se privant d’image sans se priver du même coup du désir qu’on a de lui, eut donc un jour l’idée de compléter le régime de sa perfection par le don d’une image parfaite. L’incarnation fut l’image qui devait combler les désirs du regard sans porter d’ombre sur l’éclat divin. Pour y parvenir il a fallu que cette image accepte d’abord une totale compromission avec le royaume des ombres et de la mort, qu’elle se relève ensuite victorieusement en imposant son triomphe. Hélas, la victoire fut de courte durée, l’image parfaite fit place à la population bigarrée et intempestive des images. Il a bien fallu constater que Dieu n’était plus ce qu’il était. Les images ont pris le pouvoir : images de soi, images des autres, images des choses, images de Dieu et du diable, images de ce qui vit, images de ce qui meurt, images de ce qui existe et de ce qui n’existe pas. Dieu n’est plus propriétaire de son image ni de celles du monde. Nul n’est propriétaire des images, elles sont libres de toute emprise. A l’image infinie du désir . Désormais les images ont des pouvoirs y compris celui de devenir propriétaires de nous ! Nul ne possède l’image, mais elle peut nous posséder. Le pouvoir des images inspire une terreur sacrée. Qui fait mon image, fait mon double ; qui produit mon fantôme, joue avec ma vie et peut me tuer. Il prend possession de moi sans mon accord et je tombe amoureux ou malade au gré de ses gestes et de son désir. Adhésion archaïque à la magie du visible qui n’est pas sans nourrir les peurs et les désirs. N’y a-t-il pas dans cette frénésie contemporaine à faire payer tout droit à l’image un retour archaïque vers un exorcisme économique. Le sentiment d’être possédé semble provoquer un effet de retour vers la vénalité et un juridisme protecteur. Je pense à la tradition éthiopienne qui nous instruit étrangement sur la possession et la dépossession par l’image. Nous sommes bien plus proches que nous l’imaginons de ces croyances et de ces rituels. Que font les démons pour arriver à leur fin meurtrière sur le corps et l’esprit ? Ils pénètrent leurs victimes, installent leurs énergies fallacieuses dans l’intimité de la chair, ils produisent des visions, des images qui nous rendent fous ou méchants, des images qui jouent avec les formes les plus aventureuses et improbables du désir, des images qui nous tuent. L’imagier diabolique nous possède, nous sommes, comme on dit, possédés. Comment se débarrasser des intruses, comment guérir de cette invasion qui nous exproprie de notre être au profit d’une appropriation fatale par le démon des images. La seule solution, c’est de montrer à l’envahisseur démoniaque sa propre image car il en va du Diable comme de Dieu, leur image est insoutenable. À peine a-t-il croisé son regard dans le miroir qu’on lui tend, que l’esprit mauvais s’enfuit, terrifié. Pour cela il faut un sacrifice : on tue un animal, on asperge le malade de son sang et c’est sur la peau de l’animal sacrifié qu’on inscrit les figures du malin et les prières qui sauvent. Cette bande de peau a la taille du malade et s’expose à l’entrée de sa maison. Les gestes de dépossession qui exorcisent le mal rendent à celui qui souffre la pleine liberté de son corps et de son esprit. L’image est donc bien l’instrument double, celui de la possession et de la dépossession dans la circulation symbolique des regards. La liberté et la santé reviennent par la voie du regard sur les images et des imagfes du regard . Tout compte fait cette puissance apotropaïque des images ne vient-elle pas confirmer ce que l’enfant au miroir nous apprenait ? Ne pas se laisser posséder par l’image, c’est se réapproprier l’image consistante et vivante de soi qui demande son prix : la séparation, l’écart sans identification. Cette image, nul ne la possède, elle est une qualité intersubjective de l’espace partagé par les regards. Lancer un pont entre soi et soi c’est donner à la parole l’espace où se déploie l’adresse envoyée à l’autre. L’image n’est pas un royaume, mais elle est donc un pouvoir, un pouvoir divin et diabolique si l’on veut, qui passe d’une instance à l’autre au gré de la puissance symbolique des gestes et des mots. Le prix à payer n’est pas celui qu’exige la propriété d’un bien mais celui qui ouvre le champ de la dépossession.

Par quoi je voulais indiquer que le souci de nos contemporains concernant la propriété des images est la plupart du temps motivé par un délire de possession et de perte de l’image de soi. Possédés par les images auxquelles ils s’identifient, et dépossédés de leur puissance symbolique de séparation d’avec soi et d’avec les autres, ils se rabattent sur la dimension juridique et financière dans l’espoir d’y trouver une consolation générale à tout ce qu’ils ont perdu en perdant l’art de perdre donc celui de donner et de recevoir. Leur image est devenue dans leurs mains une chose parmi les choses et ils ne voient pas que cette chose, c’est justement ce qu’ils sont devenus. Voulant s’enrichir de leur propre perte, ils la négocient âprement. Jamais l’image ne fut un tel article de foi, ce qui ne peut surprendre dans un monde qui s’est fait une religion de croire parce que l’on voit. Pourtant on prête au divin promoteur de cette situation d’avoir dit : " Heureux ceux qui croient sans voir ". Mais peut-on croire une parole sortie de la bouche d’une image ? Pourquoi pas, puisqu’on dit qu’elle a donné sa vie pour payer un rachat général du visible. Désormais on devrait voir et montrer gratis.

Article publié dans le numéro anniversaire de la revue Art Press, novembre 2002.